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voluptueuse et saine femelle, Georgette pouvait attiser les plus apathiques. L’impression qu’elle donnait était soudaine et doucement brutale. Elle supprimait la gêne, la honte, la réflexion : on devenait un animal auprès de sa lascivité familière. Cependant, on pouvait la chérir : elle décelait le bon cœur des siens, leur largesse, leur facilité à toujours rompre le gâteau ou à détacher le bijou, le fichu, la fanfreluche, pour en faire don au prochain.

Son petit corps exhalait une luxure qui dominait la résistance sociale, et lorsqu’elle s’étirait ou se frottait, le spectateur devenait un fauve. Ce qui la sauva, c’est qu’elle n’aimait pas les garçons de son âge. Jusqu’à seize ans, elle réservait ses sourdes caresses à des hommes faits. Ces hommes avaient peu l’occasion de la voir seule, car, malgré tout, la mère exerçait une surveillance ; plus d’une fois, elle assouvit ceux qu’avait grisés la fillette.


Étienne Bardoufle nichait dans une petite chambre, au sixième d’une vaste maison de rapport, qu’on nommait le Bataillon Carré. Cet homme trapu, aux fémurs énormes, aux gestes de tamanoir, à la musculature lente, triste et formidable, était terrassier. Quoiqu’il fréquentât le cabaret, il vivait à l’écart. Ses idées se démantelaient dans sa tête ; il ne parvenait pas à les étançonner ; il offrait un masque ahuri et déçu, troué d’énormes yeux, bronzés comme les élytres des hannetons, qui bougeaient pesamment et jetaient une lueur caverneuse. Comme il comprenait avec lenteur, et ne répondait guère, les compagnons s’abstenaient de lui adresser la parole. Bardoufle en concevait de la tristesse. Il demeurait immobile, essayant de saisir les paroles des autres et de fixer ses réflexions : il y avait toujours un retard ou un éboulis. Parfois il secouait sa peau, ainsi que les chevaux tourmentés par les mouches ; on voyait