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Lepellière avait fréquenté les hôpitaux, les sages-femmes ; elle jouissait d’une adresse de guenon.

C’était une petite vieille à structure de martre, avec des yeux de laque fendillée et repoussés vers les tempes, une peau de flanelle jaune ; la génération lui faisait horreur. Elle éprouvait une sorte d’ivresse à « débarrasser les dames », et non seulement pratiquait gratis, mais y allait de sa bourse. Elle frôla les galères, ses opérations ayant expédié trois personnes au cimetière. « Mais, disait-elle, j’ai empêché mille malheureux de venir au monde ! »

Elle aima Jeannette ; elle lui donna des leçons précises : la jeune femme n’eut plus d’enfant et put aider le prochain.

Les petits Meulière avaient un grand charme. Par le grain de leur peau, une langueur singulièrement suggestive, une douceur sensuelle, une humeur caressante et prodigue, ils plaisaient aux autres enfants et à maints adultes. L’aîné, Gustave, était un garçon trapu, bas sur jambes, les yeux ambrés et le plus souvent entreclos. Ses cheveux paille d’orge, qu’il secouait avec plaisir et dont le contact avait une tiédeur et un satin d’eider, l’illuminaient. C’était une âme molle, séduisante, nébuleuse, et, de beaucoup le plus intelligent de sa race, il cachait de beaux instincts et des enthousiasmes taciturnes. Sans prédilection pour sa propre parole, il ne s’exprimait qu’entraîné par la nécessité. Son effarouchement l’avait sauvé des turpitudes. Gustave comportait toutes sortes de petits sentiments délicieux, inexprimables, obscurs, saisissables seulement à ceux qui le connaissaient bien.

Tout destinait Georgette Meulière aux amours précoces, et, à seize ans, elle était vierge. Avec ses longs yeux tabac, sa crinière de cuivre, sa peau où un hâle fin semblait ajouter de la sensualité, ses gestes paresseux et séduisants, son corps plein, où chaque onde des contours décelait une