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ou la jupe relevée devant le fourneau, elle poussait des gémissements. Tout l’après-midi, des femmes et des hommes se pressaient dans sa salle à manger. Elle chauffait du café sans relâche, consultait le marc et pleurnichait. Sa bienveillance lui conseillait de servir, avec une générosité égale, des tranches de pain, du cervelas, du fromage de porc, de la confiture et sa propre personne. Aussi bien n’hésitait-elle jamais à emprunter, et ne rendait-elle qu’à ceux qui réclamaient leur dû.

Le samedi et le dimanche soir, tout le salaire du ferblantier passait dans le ventre de la famille et des invités. Ensuite, il fallait combler le déficit : Jeannette s’en occupait avec une tristesse tendre, tantôt s’adressant au cordonnier Marguitte, célibataire salace, tantôt extrayant une pièce au premier venu, et quelquefois aidant les dames qui craignent le repeuplement, soit de ses conseils, soit de ses drogues, ou encore, plus rarement, de son aiguille à tricoter. Elle n’aimait guère cette dernière manœuvre, quoiqu’elle la pratiquât avec discernement et adresse. La vie la poussait. Et puis, elle croyait rendre service.

On ne pouvait savoir si Meulière ignorait les actes de sa femme. Cet homme impatient n’avait aucune impatience devers Jeannette. Il subissait ses absences, ses retards, ses gaspillages ; elle le dominait d’une façon étrange, où se mêlaient la sensualité et ce rythme inexplicable qui fait que certains êtres sont apaisants et redoutés. Et, sans plus de volonté que lui-même, elle le dominait mieux que si elle avait eu l’énergie d’Annibal ou de Bonaparte.

Depuis longtemps, Jeannette ne faisait plus d’enfant. Mais elle en avait jadis, dans le feu et l’ignorance de la jeunesse, pondu quatre : sa terrible fécondité menaçait le ménage d’une postérité de lapins. La sagesse apparut sous les espèces d’une dame Lepellière, qui propageait des recettes. La dame