Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
LE CONDAMNÉ À MORT

leur. Je donnai mon homme comme une victime de l’incurie sociale ; je dépeignis sa vie d’orphelin et de vagabond ; je fis appel à la justice et surtout à la compassion des jurés. L’homme-bête, que le réquisitoire avait mis en fureur et qui, plusieurs fois, avait fait mine de bondir vers le procureur général, fut pris d’une émotion inouïe lorsque je parlai à mon tour. La prunelle dilatée, la bouche entr’ouverte, à chaque instant, il tendait vers moi ses mains captives ou poussait un grognement de reconnaissance. Quand j’eus fini, il beugla :

— C’est à la vie, à la mort !

Il écouta le verdict et la condamnation avec indifférence, soit qu’il comprît mal, soit que son intellect rudimentaire ne lui permît pas de s’intéresser à un avenir qui dépassait plusieurs journées.

Quand il fut à la Roquette, — car ceci se passe au temps de la Roquette, — il demanda fréquemment à me voir. Il m’accueillait avec des démonstrations qui ressemblaient assez à celles du chien qui revoit son maître. D’ailleurs, il ne s’inquiétait guère. Il savait que je m’occupais à obtenir sa grâce et il s’en rapportait à moi — sûr qu’en fin de compte, je réussirais à sauver sa tête. Seulement, il trouvait le temps long, car il avait l’habitude du grand air : sa cellule lui semblait étouffante et terriblement ennuyeuse, d’autant plus qu’il n’entendait pas grand’chose aux jeux de cartes…

Il ne me parla qu’à deux ou trois reprises de sa mort possible ; il me disait alors :