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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

sauvage, elle se sauvait à travers les ténèbres et la nature, guidée par l’immense et furieux instinct de la conservation.

Là-bas, trois groupes de lueurs, trois faisceaux de feux aériens s’élevaient, comme des phares au-dessus de la mer incommensurable, et c’était la seule direction, presque mystique, de ces troupeaux d’hommes. Au zénith, — on eût dit parmi les étoiles, — les aérostats et les aviateurs ottomans et autrichiens allaient se livrer une suprême bataille…

D’abord la fuite parut heureuse : Turcs, Kurdes, Albanais, Syriens, Arabes voyaient bien tomber les premiers obus, mais ces obus, venus de très loin, rares encore, causaient peu de mal. Puis, le bombardement s’épaissit ; bientôt la fusillade des tirailleurs les plus proches commença de pleuvoir sur la multitude. Les hommes tombèrent par grappes. Du haut de collines et d’éminences, de larges nappes de lumière argentée dévoilaient et perçaient les masses fugitives. À mesure, l’orage de l’artillerie, l’averse affreuse des balles s’enflait, ruisselait de toutes parts à travers les chairs et les os. On entendit les clameurs plaintives, les appels farouches, les interjections hurlantes des blessés. Et l’immense multitude éparpillée ne s’arrêtait point. Malgré tant de milliers de morts, elle ne songeait qu’à atteindre la région salvatrice des phares. Même le prodigieux massacre de l’Approche quand, en cinq minutes, il croula plus de quinze