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la silencieuse

— Je ne peux pas vivre loin de vous !…

La vie, la gloire, la puissance sont entrées en moi comme la lumière dans les ténèbres !

Et Francesca a dit encore :

— Je n’ai pas été coupable envers vous. Mon épouvante était réelle — plus forte que mon âme. J’ai vainement essayé de la surmonter. Il n’y a peut-être aucune créature au monde à qui l’amour est aussi redoutable.

J’ai doucement pris sa main ; la petite main s’est soumise, tendre, frémissante, confiante :

— Et pourquoi l’amour vous est-il si redoutable ?

Le magnifique visage s’est détourné vers la forêt :

— Parce que je savais que je ne serais plus une créature distincte de celui que j’aimerais. Parce que je devais abdiquer tout entière — et pour cela être aussi sûre de mon époux que de moi-même — parce qu’enfin, de ce moment où je parle, j’ai cessé d’être, je n’existe plus ! Ma liberté est morte. Je ne suis plus que votre esclave : à jamais votre volonté sera faite et non la mienne !


Et tandis que nous descendions la colline, je murmurais tout bas :

« Ah ! tout de même, dans la brève aventure de notre vie, il est merveilleusement doux que le plus grand vœu ne soit ni de la gloire, ni de la richesse, ni de la puissance, mais une faible créature, notre semblable, un peu de lumière vivante, un trait, un contour, quelques gestes, et le rythme d’une démarche ! »


FIN

Le premier de ces récits est inédit en librairie ; le second est extrait de La Silencieuse.