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la silencieuse

— Je suis arrivé au terme de ma souffrance. Je vais partir. Et j’ai résolu de vous parler une dernière fois. Le supplice que j’ai enduré, par le seul fait de votre existence, est assez grand pour que vous supportiez encore que je vous offre toute ma vie, assuré de n’aimer jamais plus une autre femme. Je parle sans espérance, et presque pour remplir un devoir — car nous avons aussi des devoirs envers nous-mêmes — telle la recherche d’un bonheur qui n’est point pris à d’autres et qui doit nous rendre meilleurs. Je sais, Francesca, que j’aurais été plus noble, plus charitable et plus doux pour avoir obtenu la joie infinie d’être votre compagnon — je sais qu’une telle grâce aurait suffi à me donner de la résignation dans les pires épreuves et de la bonté pour mes ennemis. Mais je ne connaîtrai pas cette faveur suprême ! Et je n’aurai point de plainte contre vous, Francesca. Vous n’êtes point responsable des tendresses que peut éveiller votre personne — ce serait être responsable de votre naissance. Je vous supplie seulement d’avoir un regard de pitié pour moi, et de me pardonner mes paroles, si elles vous ont offensée !

Elle resta quelque temps sans répondre, belle comme une Aphrodite du Silence, la tête penchée sous les grands cheveux d’ombre — puis, pleine de trouble :

— Ce n’est point à moi de pardonner — mais à vous. Je suis accablée de remords, je m’accuse de votre peine, je donnerais plusieurs années de ma vie pour que cela n’eût point été. Ne doutez pas que, dans toute circonstance, je ne sois prête pour vous à un grand acte de réparation !

Elle me tendit la main ; je n’osai pas l’élever jusqu’à ma lèvre.

— Adieu, Francesca, balbutiai-je… Je serai parti demain à la pointe du jour !

Elle s’appuya contre un arbre ; elle murmura, comme parlant à soi-même :

— Je ne dois pas le retenir.