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la silencieuse

5 août.

Rien n’a changé. Je veux partir. Je ne crois qu’au Temps et à l’Absence — il n’est pas d’autres médecins d’âme. Et j’ai dit ma résolution à Ojetti. Il a paru consterné. Il s’est répandu en plaintes, puis :

— Le manche après la cognée ! Votre mal ne sera pas plus difficile à guérir si vous attendez quelques semaines encore.

— Mais je ne puis le supporter pendant quelques semaines encore !… Il me reste un peu de force — il faut en profiter… Et vous ne pouvez me donner aucune espérance.

Ojetti n’est pas diplomate, comme la majorité de ses compatriotes.

Il garda le silence, puis, tandis que je le regardais tristement :

— J’aurais juré qu’elle vous aimerait… Même je croyais avoir démêlé en elle une inclination naissante… Ma

— Vous voyez bien que je lui inspire une sorte de terreur !

— Oui… Je ne m’explique pas… Je ne puis obtenir de confidence… il faut lui parler encore…

— Et de quoi voulez-vous que je lui parle ?

— Peu importe. De la même chose… Mais soyez éloquent — et qu’elle vous réponde !


Nous avions dépassé ce grand Calvaire sinistre qui s’étend au delà des Plans. On dirait un cimetière de Titans. Les pierres plates, les croix vagues, les énigmatiques pierres debout y alternent avec des fosses profondes ; les échos y sont multiples comme des retentissements d’antiques clameurs d’agonie. Au sortir du Calvaire, la route monte entre des sapins, eux-mêmes surgis des vieux âges. Le docteur a entraîné Luigini en nous priant de l’attendre ; nous sommes demeurés seuls, Francesca et moi, dans la cathédrale vivante. L’immobilité et le silence semblaient se fondre avec la lumière. J’entendais battre mon cœur — et le sien. Et j’ai dit brusquement, d’une voix rauque :