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la silencieuse

je ne sais quelle dureté parut sur sa bouche — et elle, qui n’interrogeait jamais, demanda :

— Êtes-vous jaloux de Luigini ?

La surprise me tint d’abord muet, puis, avec une sorte de colère :

— Plût au ciel ! Si je pouvais être jaloux, je pourrais espérer guérir de mon amour !

Elle devint aussi pâle que le jour de mon aveu, avec la même épouvante dans les prunelles. Et elle passa, silencieuse, rejoindre son père qui nous appelait.


iv

26 juillet.

Je suis libre. Les autorités ont trouvé mes peccadilles légères. Je puis recommencer, s’il me plaît, à conspirer contre les puissances amies, quitte à me faire reprendre au filet. Je n’en ai guère envie. Déjà ma foi était tiède, lors de la dernière. Je ne crois pas que le tyran soit renversé par nos petits moyens. De plus vastes événements rétabliront la balance entre le droit et la force. Deux ou trois camarades français bénéficient de la clémence fédérale. Mais nos amis Vénitiens, Polonais, Milanais, restent sous les verrous (!). Et je rôde comme une âme en peine autour de ma prison. Les gardiens ont d’abord prétendu exécuter leur consigne et m’exiler avec les gens libres. Ils ont fini par me permettre quelques heures de visite. En sorte que je ne suis pas entièrement privé du plaisir d’entendre Retchnikoff jurer de les guillotiner, de les pendre, de les faire infuser dans l’eau forte.

Mais, hélas ! ma tristesse est chaque jour plus affreuse. Francesca demeure dans son mystère, et que m’importe d’ailleurs ce mystère, puisqu’aussi bien il n’y a là aucune espérance.