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la silencieuse

— Vous ai-je offensée ?

Elle répondit avec effort :

— Vous ne m’avez pas offensée.

— Puis-je concevoir quelque espérance ?

— Je ne puis pas vous répondre. Je l’ignore autant que j’ignore tout mon avenir !

Je repris avec découragement et humilité :

— N’est-ce que de l’ignorance ? Ne sentez-vous pas plutôt que je ne puis vous plaire ?

— Je ne sens rien en ce moment, qui soit contre ni pour votre personne…

— Vous êtes mortellement pâle, comme si vous étiez frappée d’horreur…

Elle baissa ses yeux pleins d’ombre.

— Vous vous trompez. Ce n’est pas de l’horreur. C’est de l’épouvante !


iii

12 juillet.

Chaque fois que je me présente devant Francesca, je vois passer dans ses yeux le même saisissement. Une rapide pâleur monte sur sa joue et disparaît, la main qu’elle me tend est froide et tremblante. Puis elle se rassure. Je sens son amitié qui revient, et que ma compagnie n’est pas désagréable — du moins lorsque nous sommes trois, que le docteur se tient entre nous. Si nous demeurons en tête-à-tête, Francesca se détourne et regarde au loin. Son malaise est tel que j’en suis pénétré comme d’une atmosphère. Je souffre de sa souffrance. Je romps moi-même la mauvaise influence en m’éloignant et j’éprouve un réel soulagement lorsqu’enfin Ojetti arrive à nous et fait reparaître la clarté sur le visage de sa fille.

Ma peine est mortelle. Elle ronge mes nuits — elle me livre à la pâle insomnie, aux longs rêves sinistres de l’ombre.