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la silencieuse

dans sa beauté comme un roi puissant dans son empire. Elle ignore, ou veut ignorer, toute séduction réfléchie. Aussi bien cela lui serait inutile. Elle a, pour gagner et garder les âmes, sa fierté et la force invincible du silence.

25 juin.

J’ai d’abord goûté, comme une faveur divine, cette joie de bon accueil qui souriait aux lèvres de Francesca. Mais l’angoisse est venue. La franchise même de la jeune fille devient mon supplice. Je crains ce qu’il peut arriver de pire à ceux qui aiment : le faux départ — cette cruelle familiarité qui fait des amis et qui exclut, en se prolongeant, toute espérance d’une affection plus violente. Encore pourrais-je m’y résigner, car je conçois comme trop belle une destinée où se mêlerait l’amour de la merveilleuse créature. Mais je sens, je sais, que Francesca n’épousera jamais par amitié pure, qu’elle demeurera plutôt la compagne, heureuse d’être dévouée, de son père.


ii

Ier juillet.

Nous avons monté aujourd’hui jusqu’au hameau des Plans. La montagne revêt sa grande robe étincelante : les brodeurs éternels la sèment de toutes ces fleurs si vives sur de frêles pédoncules, de toutes ces petites lueurs, de tous ces petits buissons ardents qui trouvent leur heure de gloire sur le flanc âpre du roc, dans les minuscules jardins suspendus faits de la poudre des pierres broyées atome par atome à travers les siècles. Les hêtres montent comme une armée en bataille ; les sapins frémissent tous ensemble, du même mouvement, aux passages de la brise d’été.

Nous nous sommes arrêtés au bord d’un torrent, devant les troupeaux rugissants des ondes. Francesca a franchi le pont et s’est mise à prendre une esquisse légère au fusain.