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la silencieuse

dotes, un réservoir inépuisable de souvenirs. Tout cela frétille, pétille, reluit, et fait voir en un instant mille silhouettes d’êtres, mille événements, mille aspects d’âme. Cet homme est le plus merveilleux éducateur. Il ne saurait lancer une idée sans lui donner la pointe, la parure, la saveur qui la font pénétrer comme une arme, goûter comme une œuvre d’art ou croquer comme une friandise.

Et Francesca, en silence, écoute. Jamais elle ne parle que pour répondre. Jamais elle n’éprouve le besoin de dire la joie ou la mélancolie, l’attendrissement qui se reflètent dans ses beaux yeux selon le propos entendu, le site plein de grâces ou les harmonies de la lumière parmi les ombres tremblantes. Son âme me remplit d’une douce inquiétude. Je voudrais la connaître, et pourtant je trouve un enchantement à son mystère : et sans doute repousserais-je celui qui m’offrirait de pénétrer le secret de cette jeune fille. Elle est intelligente. Ses réponses ont une perfection de justesse, une élégante concision, un tour ensemble timide et hardi.

Et je ne rêve que d’elle. Mon cœur est devenu insupportable. L’univers a grandi. Il me semble entendre en moi la rumeur de tous les siècles, toutes les douloureuses et magnifiques générations qui vécurent et moururent pour que l’amour devînt plus beau, pour que l’histoire de l’époux et de l’épouse fût aussi vaste, aussi belle, aussi harmonieuse que les abîmes étoilés de l’espace !

18 juin.

Et c’est vrai pourtant ! Ce mystère m’accueille avec préférence. Les profonds yeux d’améthyste s’éclairent en me regardant. Le sourire est confiant ; sur tout le visage de lumière mon arrivée fait venir une douce bienvenue. Lorsque je l’aperçois de loin, mon cœur s’emplit d’épouvante — mais de près je me rassure, comme au bord d’un précipice semé de fraîches soldanelles. Et Francesca ne fait aucun effort pour dissimuler son plaisir. L’ombre même d’une coquetterie est absente de chacun de ses gestes. Elle marche