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virent. Tous les sentiments de la dignité humaine offensée, toutes les cuisantes horreurs de la plus basse, de la plus immonde tyrannie subie par une âme fière, tous les étouffements de l’insomnie, le pâle et farouche silence, les ressouvenirs subits qui brûlent le cœur, le monde renversé, l’impossibilité de manger sans convulsions de l’estomac, la tristesse épouvantable des crépuscules, — cela le tint durant des semaines et le rendit pâle et maigre à l’excès.

Il ne fréquentait plus personne, s’enfermait dans son jardin sitôt la besogne finie, ne sortait qu’armé d’un long couteau, ne se pouvait rassasier de penser à sa misère. Moi-même, je n’allais plus jouer, je ne quittais plus les abords de notre humble maisonnette, je sentais une malédiction étendue sur le village et sur les landes sinistres qui l’entourent.

Malgré cela, nous ne pûmes éviter une nouvelle humiliation.

Ce fut un dimanche. Mon père, quoique non croyant, allait cependant parfois à la messe pour complaire au vieux curé de S…, qui était un très brave et très digne homme. Ce jour-là, au sortir de l’église, — nous nous trouvâmes face à face avec Davesne et son fils. Mon père les évita,