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une petite place de comptable dans une fabrique de produits chimiques, au fond d’un canton perdu. Cet emploi, obtenu après de longs mois de recherches, n’était point trop dur, mais mal rétribué. Mon père s’estima très heureux de l’avoir, et, trop profondément accablé, il n’en espéra point de meilleur, n’eut plus d’autre crainte que de le perdre. Le village de S…, où nous fûmes contraints de nous loger, est un endroit sans agrément, malsain, solitaire, au milieu de landes stériles. Les habitants, fiévreux et d’humeur morose, ont des mœurs rudes, peu charitables, et point du tout de bienveillance pour les étrangers. Mon père fut d’autant moins bien accueilli que sa qualité de « monsieur pauvre » lui aliénait à la fois les besogneux et les notables. Il le perçut d’emblée et résolut de s’empresser dans l’accomplissement de son devoir, d’éviter les fréquentations. Moi-même, mal vu par les enfants du village, je préférais en général me tenir seul auprès de notre petite maison de sapin. Quelques mois se passèrent, et, malgré tout, la douceur, la rectitude de mon père, une certaine grâce que j’avais en ce temps dans le caractère, firent que nous pûmes fréquenter, modérément, quelques êtres. Nous n’étions ni heureux, ni malheureux.