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frais, une scintillation de milliards de glaives.

La vie féconde et monstrueuse se devinait dans la rivière. Tantôt un saurien filait au long des rives, effrayé dans son sommeil ; tantôt quelque tapir fuyait l’ennemi au fond du royaume des ondes. Quant aux petites vies, elles étaient effroyables de nombre et de mystère.

Mais en somme, sur les flots, c’était un demi-silence. À cause des rumeurs, les forêts semblaient autrement puissantes, belles et sinistres. Là, c’était la guerre éternelle, les conjonctions furtives de l’amour, l’embuscade carnivore, la poursuite, la terreur, le génie de l’attaque et de la défense dans une formidable liberté. Par-dessus tout, le même besoin des faibles et des forts, la faim : pâture ou proie.

Le bateau électrique glissait avec une douceur singulière, à peine une légère palpitation de rouages. D’un long rai de lumière blanche, il explorait tout autour.

Trois hommes se tenaient à la proue, un quatrième manœuvrait le gouvernail.

L’un d’eux, personnage trapu et bref, murmura :

— Eh bien ! il avait raison le vieux cacique… après la navigation presque insurmontable du