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sur le radeau. Car de partir seul, de se présenter aux échoués sans intermédiaire, c’était trop évidemment exciter leur défiance. Pourquoi se résoudraient-ils à risquer ce qu’aucun de leurs frères de la rive n’aurait osé risquer pour venir à leur secours ?

Alglave essaya d’exprimer cela. Il ne fut pas compris. Faisant alors mettre le radeau au fleuve, non sans peine, non sans risquer des malentendus et des mauvais traitements, il le manœuvra d’une godille grossière, s’éloigna de la rive, puis y revint. Un linéament de prescience parut se faire dans l’esprit de quelques-uns, et Alglave, dix fois, vingt fois, montra l’île et le radeau alternativement, imita le mouvement de godille, l’avance de l’esquif sur l’onde.

Une fois de plus, il se fit une compréhension vague. L’anthropoïde le plus intelligent semblait songer à courir le risque. Mais sa profonde terreur de l’eau le retenait évidemment. Remontant en radeau, Alglave évolua, quitta la rive, y revint, montra de vingt manières la sécurité de cette navigation primitive. Alors, lentement, avec une hésitation, une angoisse évidentes, avec les mouvements frileux d’un enfant qui trempe son pied dans l’eau, le chef gorille descendit sur le radeau :