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cet état intermédiaire entre la veille et le sommeil, il me sembla sentir une présence, quelqu’un qui se penchait sur moi. Et, soudain, un frôlis sur mon visage, une caresse moite sur ma lèvre. J’entr’ouvris les paupières, assez peu pour ne pas paraître m’éveiller, assez pour tout voir. Elle était venue. Sa bouche de magicienne, le prodige de sa chair légère, ses yeux éclairés par la lueur qui perd ou rédime les âmes, la tendre végétation de ses cheveux sur son cou décoré de beauté impérieuse ! Et je me disais : « Demain, je fuirai… je fuirai, mon Dieu ! Mais que j’aie encore une fois ces lèvres sur mon visage ! »

Silencieuse, elle me regardait, elle dardait sur moi toute sa grâce. Mon cœur s’évanouissait. Il me semblait que j’aurais consenti à m’anéantir, mais que les deux ans pussent tout soudain s’ajouter au temps. Pour rien au monde, je n’aurais fait un mouvement, et elle, se penchant, voici que les lèvres rouges se posèrent sur mes yeux, sur ma joue, sur ma bouche. Elle parlait tout bas ; elle répétait, à chaque baiser :

— Je vous aime ! Je vous aime !…

Et je me mourais d’amour au contact velouté, à tout le délicieux magnétisme, au secret divin de ces effroyables minutes !