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sinon, ceux de là-bas se fussent évadés, jamais ils n’atteindront l’île… et moi je pourrais… je pourrais mériter leur reconnaissance… gagner mon droit de séjour libre.

Son cœur tressaillit. Il observa de nouveau les anthropoïdes. Son intelligence, surexcitée, interpréta les plus fréquents de leurs gestes actuels : une confuse mimique, une évaluation de distance entre les deux rocs :

— Un pont !… Ils rêvent un pont !… Pauvres diables !

Il s’assit, il attendit. Deux heures s’écoulèrent, et les gorilles s’étaient mis à l’œuvre. Ils avaient déterré l’arbre le plus élevé des environs, un arbre de plus de soixante mètres de hauteur. Lentement, maladroitement, ils l’avaient hissé au sommet du roc :

— Ah ! les enfants ! se dit Alglave, ils vont essayer de le faire toucher par l’autre bout à l’île…

Tout à la fois, il s’apitoyait sur leur ingénuité et la trouvait merveilleusement intelligente pour des anthropoïdes :

— De vrais hommes, après tout… car l’idée du pont existe en eux… et qu’importe qu’ils ne sachent calculer la largeur de l’abîme ?