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inutile. Je ne prends de résolutions sérieuses qu’après plusieurs jours de réflexion, et alors, tu le sais, elles sont définitives. Toute objection tombe devant cette certitude : avec toi ou un autre, elle me trompera. Donc je veux que ce soit avec toi, et je le veux violemment. D’ailleurs je te jure que je n’aime plus ma femme d’amour ; j’ai une maîtresse que j’adore. Il n’en coûtera donc qu’à mon amour-propre, et toi seul est susceptible de le ménager avec une délicatesse parfaite.

Nous gardâmes un instant le silence. Mon angoisse faisait place à une vaste tendresse, et tout l’amour que j’avais étouffé revenait à mon âme, frémissait, s’épanouissait, me précipitait vers l’image adorée de la femme de mon ami. En même temps, une gratitude infinie, une affection sans bornes pour Maurice :

— Tu n’as pas songé au divorce ? fis-je d’un ton timide.

— Je n’en veux à aucun prix. Elle est aussi bonne mère que je suis bon père. Je ne veux pas briser le bonheur de notre couvée…

Il s’était levé, il m’avait pris la main, il l’étreignait avec force ; et il murmura :

— Je pars demain !