Page:Rosny - Les Profondeurs de Kyamo, 1896.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ça ? Est-ce que j’ai le temps de m’occuper de cette vétille ?

— Et il s’écria, d’un ton menaçant :

— Je ne chanterai pas !

Il me tendit la lettre ; je m’arrêtai un moment pour la lire, tandis qu’il me précédait. Ah ! la pauvre lettre, humble, touchante, humaine, toute pétrie de maternité douloureuse, où l’on demandait un pauvre billet de mille francs à cet homme plus de quinze fois millionnaire — un billet de mille francs pour son enfant ! Mon cœur saigna. Un mépris sans nom, un sentiment de violente vengeance, une pitié infinie pour la pauvre mère, tout cela me tint un instant pâle au bord du chemin.

« Patience ! » me dis-je, et je rejoignis cet homme, en composant mon visage.

— Eh bien, fit-il… croyez-vous, hein ?

— La vie est bien singulière ! répondis-je évasivement.

— N’est-ce pas ?

Il partit en une indignation immonde, une colère imbécile, qui dura jusqu’à la tranchée. Quand j’eus examiné les découvertes des ouvriers, je prétextai une course, je me rendis à toute vitesse au plus prochain bureau de poste.