Page:Rosny - Les Profondeurs de Kyamo, 1896.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chagrines, et c’est justement ce qui me plut, ce qui me remplit à la longue d’une ardeur tendre, assez singulière, car elle participait de l’amitié et du désir, d’un confus sentiment de fraternité humaine, d’une sorte de volupté noire. J’attirai ma compagne auprès de moi, je la tins quelque temps en silence. Elle-même ne prononça pas un mot. Elle semblait heureuse d’être ainsi et, dans ma disposition actuelle, rien ne me pouvait plaire autant que cet air de contentement.

Je ne sais ce qui advint, mais, à un geste un peu brusque, une des attaches du masque sauta : je vis une figure presque aussi laide qu’il est possible de l’imaginer, avec, par surcroît, une verrue énorme près du nez, où poussait une foison de poils roussâtres. La pauvre femme poussa un cri ; deux grosses larmes jaillirent de ses yeux ; elle se retira de moi avec un geste de désespoir. Mais mon singulier sentiment de fraternité, de volupté noire, ne fut pas entièrement chassé par cette brusque apparition de laideur, et dans un grand élan charitable — vous savez combien la charité est souvent proche du désir — j’étreignis la femme, je lui mis violemment les lèvres sur la bouche et je la conquis.