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entendre une de ces choses singulières dont son âme originale m’avait quelquefois fait la surprise.

— Tu as donc un but ?

— J’ai un but… et non d’aujourd’hui Longtemps je suis restée indécise, car je voulais d’abord être sûre de moi-même, m’interroger en tous sens… et, aussi, j’avais peur de toi. Mais à mesure que je l’ai vue pâlir et maigrir, j’ai compris mon devoir — notre devoir. — Il m’est aussi venu comme une espèce de double vue ; il m’a semblé que je lisais plus clairement dans toi, dans elle, dans moi-même. Alors, j’ai pensé que tu aurais la force de guérir la pauvre fille.

Elle s’était rapprochée, elle me jetait un regard magnétique, plein d’une ardente supplication, d’une douceur impérieuse :

— Eh ! m’écriai-je… je n’aurai pas cette force, et l’eussé-je, Jeanne verrait trop vite que c’est de la pitié et n’en serait que plus chagrine… Puis, toi-même, malgré que tu dises…

Elle continuait à me regarder, à me pénétrer de son âme ; elle reprit avec énergie :

— Je sens que, par amour pour moi, tu trouveras je ne sais quelle charité brûlante… et pour Jeanne, je sais qu’elle n’espère, qu’elle