Page:Rosny - Les Profondeurs de Kyamo, 1896.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ombre des jeunes peupliers et nous livrant à l’une des plus charmantes occupations humaines : voir couler l’eau.

Dans les premiers moments, nous étions trois, mais bientôt Jeanne, d’un air sombre, s’était éloignée. Nous pouvions la voir marcher en aval. Soudain Marguerite, m’éclairant d’un de ces grands regards qui m’altéraient d’elle :

— Jeanne me brise le cœur ! C’est comme le remords d’un crime, lorsque je la vois se ronger ainsi qu’aujourd’hui… lorsque je sens qu’elle rêve au suicide ?

— Au suicide ? m’écriai-je… Qu’est-ce qui te fait croire ?…

— L’instinct le plus sûr. La pauvre fille s’était résignée à l’existence vide… mais le mal l’a enfin atteinte, et si terriblement, que j’en frissonne souvent d’épouvante…

Elle parlait en rêve, dans une grave et tendre douceur, pleine d’une sorte de divinité.

— Tu ne m’as jamais rien dit, murmurai-je.

— Je ne t’ai jamais rien dit, parce que c’est de ces choses dont il ne faut parler que dans un but bien clair. À quoi auraient servi de vaines confidences ?

Sa voix sonnait étrange : je sentis que j’allais