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Marguerite. Elle-même semblait avoir des sentiments fraternels, lorsque, vers la deuxième année de mon union, nous la vîmes devenir rêveuse, distraite et amèrement chagrine.

Je ne tardai point à percevoir que j’étais cause de ce changement, que la pauvre fille s’était prise d’amour pour moi. Elle s’en cachait de toutes ses forces, âpre à lutter contre son penchant ; mais elle ne pouvait arrêter tel tressaillement, tel regard jeté à la dérobée, durant qu’elle ne se croyait pas vue.

Eût-elle été la plus jolie des filles d’Ève, il me semble que je n’aurais pu l’aimer à cette époque, mais elle était d’une laideur amère et terne qui éloignait à l’infini tout sentiment idyllique : d’autant plus étais-je mélancoliquement touché de la voir atteinte du mal qui perpétue les hommes. J’avais peur de laisser transparaître cet intérêt, dont elle eût été humiliée, et j’espérais aussi que Marguerite ne s’apercevrait de rien.

III

Un matin, nous avions remonté la Saône. Nous nous trouvâmes à la campagne, couchés à