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huilés. Il reprit d’une voix plus basse, mais d’autant plus pénétrante :

— Tout d’abord… je veux dire pendant un mois environ, je ne mêlai pas beaucoup la pensée du docteur Haller à mon désespoir… Il m’arrivait certes de songer à lui, mais d’une façon brève ou lointaine… Il n’en fut plus ainsi quand la colère et la haine se mêlèrent à mon désespoir, quand à ma terreur de la mort se joignirent des sentiments de revanche, je ne sais quel besoin de me venger de tout et de tous… J’exécrai d’abord mes proches, mes héritiers, dont l’hypocrite assiduité, dont les paroles flatteuses et pleines de sollicitude, cachaient mal l’hypocrite espérance, l’ignoble chasse à ma petite succession… Puis j’exécrai les voisins, les passants, tous ceux qui me frôlaient, tous ceux dont l’insolente confiance de vivre semblait insulter à ma misère…

J’exécrai jusqu’aux animaux, jusqu’à ces petits oiseaux des jardins publics auxquels des mains amies jettent le pain quotidien… Dans cette période, je songeai plus longuement, plus fixement au docteur Haller. Son action me parut horrible, et chaque jour plus horrible. Il fut de plus en plus mon bourreau, le tyran immonde qui avait abusé de sa science comme d’autres, jadis,