Page:Rosny - Les Profondeurs de Kyamo, 1896.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sité — une curiosité plus dévorante que jamais, me fit m’écrier :

— Dites-moi tout, toute la vérité !…

Il hésita. J’entendis des gens chuchoter. Alors je m’accrochai à lui, je me mis à le supplier avec une espèce de fureur. L’impatience revint sur sa face, ses gros yeux luisirent de colère. Il m’écarta, criant :

— Allez-vous me laisser à la fin !…

Je ne sais ce que je criai, une injure, je crois, et il en devint rouge, les tempes gonflées.

— Vous avez six mois à vivre ! cria-t-il.

— Six mois !

Je chancelai, je balbutiai, puis je partis brusquement, presque en courant, ne voulant pas attendre une ordonnance. J’allais inerte, dans une demi-anesthésie. Ce n’est qu’à la rue que je repris possession de moi-même, dans la terreur infinie. Pareil à l’assassin, à l’être immonde que la société vomit à l’échafaud, j’avais entendu l’arrêt de ma mort. Un homme, mon semblable, avait eu l’étrange férocité de me dire ma condamnation. Désormais le monde devenait la cellule lugubre où j’attendais l’heure fatale. Désormais j’allais compter les mois, les jours, les