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de loups et de chiens déployaient contre les bêtes faibles, blessées ou recrues de fatigue, leur cautèle et leur patience. Partout pullulait une population menue de lièvres, de lapins, de mulots, de campagnols, de belettes et de loirs… de crapauds, de grenouilles, de lézards, de vipères et de couleuvres… de vers, de larves, de chenilles… de sauterelles, de fourmis, de carabes…, de charançons, de libellules et de némocères… de bourdons et de guêpes, d’abeilles, de frelons et de mouches… de vanesses, de sphinx, de piérides, de noctuelles, de grillons, de lampyres, de hannetons, de blattes…

Le fleuve emportait pêle-mêle les arbres pourris, les sables et les argiles fines, les carcasses, les feuilles, les tiges, les racines.

Et Naoh aima les flots formidables.

Il les regardait descendre, dans leur fièvre d’automne, en un intarissable exode. Ils se heurtaient aux îles et refluaient au rivage, chutes forcenées d’écumes, longues masses planes et presque lacustres, tourbillons de schiste ou de malachite, lames de nacre et remous de fumée, déferlages spumeux, longues rumeurs de jeunesse, d’énergie et d’exaltation.

Comme le Feu, l’Eau semblait à l’Oulhamr un être innombrable ; comme le Feu, elle décroît, augmente, surgit de l’invisible, se rue à travers l’espace, dévore les bêtes et les hommes ; elle tombe du ciel et remplit la terre ; inlassable, elle use les rocs, elle traîne les pierres, le sable et l’argile ; aucune plante ni aucun animal ne peut vivre sans elle ; elle siffle, elle clame, elle rugit ; elle chante, rit et sanglote ; elle passe où ne passerait pas le plus chétif insecte ; on l’entend sous la terre ; elle est toute petite dans la source ; elle grandit dans le ruisseau ; la rivière est plus forte que les mammouths, le fleuve aussi vaste que la forêt. L’Eau dort dans le marécage, repose