Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivre la féline : sa victoire en était plus continue et plus sûre. Et, par là, lui aussi ressentait pour elle un confus attachement.

Le temps vint où, pendant l’absence du Lion Géant, Naoh ne se rendit plus seul à la rivière : Gaw s’y traînait après lui. Lorsqu’ils avaient bu, ils rapportaient à boire pour Nam dans une écorce creuse. Or, le cinquième soir, la tigresse avait rampé au bord de l’eau, à l’aide de son corps plutôt qu’avec ses pattes, et elle buvait péniblement, car la rive s’inclinait. Naoh et Gaw se mirent à rire.

Le fils du Léopard disait :

— Une hyène est maintenant plus forte que la tigresse… les loups la tueraient !

Puis, ayant empli d’eau l’écorce creuse, il se plut, par bravade, à la poser devant la tigresse. Elle feula doucement, elle but. Cela divertit les Nomades, si bien que Naoh recommença. Ensuite, il s’écria avec moquerie :

— La tigresse ne sait plus boire à la rivière !

Et son pouvoir lui plaisait.

C’est le huitième jour que Nam et Gaw se crurent assez forts pour franchir l’étendue et que Naoh prépara la fuite pour la nuit prochaine. Cette nuit descendit humide et pesante : le crépuscule d’argile rouge traîna longtemps au fond du ciel ; les herbes et les arbres ployaient sous la bruine ; les feuilles tombaient avec un bruit d’ailes chétives et une rumeur d’insectes. De grandes lamentations s’élevaient de la profondeur des futaies et des brousses grelottantes, car les fauves étaient tristes et ceux qui n’avaient pas faim se terraient dans leur repaire.

Tout l’après-midi, le Lion-Tigre montra du malaise ; il sortait de son sommeil avec un frémissement : l’image