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lien mental entre lui et les Oulhamr. Il comprenait plusieurs paroles et beaucoup de gestes ; il savait lui-même se faire comprendre : en ce temps, les propos qu’échangeaient les hommes ne dépassaient pas des actions immédiates et très prochaines ; la prévoyance des mammouths et leur connaissance des choses avaient atteint à leur apogée. Ainsi, leur chef réglait quelque temps à l’avance la mise en marche de la peuplade, lorsqu’on entrait dans des territoires suspects ou énigmatiques, il se faisait précéder d’éclaireurs ; son expérience, guidée par une mémoire tenace, nourrie par la réflexion, avait de la variété et de l’envergure. Avec moins de précision que Naoh, il n’en avait pas moins certaines conceptions sur les eaux, les plantes et les bêtes : il entrevoyait la succession des périodes mornes et des périodes fertiles de l’année ; il discernait grossièrement le cours du soleil et ne le confondait pas avec celui de la lune. S’il avait parlé la langue des hommes il n’eut guère paru plus fruste qu’Aghoo et ses frères il aurait même exprimé certaines choses que le vieux Goûn lui-même ne concevait point.

Car si les hommes, depuis des milliers de siècles, accroissaient et affinaient leur entendement par tout ce qu’avaient palpé et transformé leurs mains, les mammouths développaient, à l’aide de leur trompe ingénieuse, maintes notions qui demeuraient étrangères aux hommes. Mais, réduit à quelques intonations et à quelques signes, le langage des colosses ne pouvait traduire tout ce qu’ils savaient ; les plus subtils restaient murés dans une solitude cérébrale ; aucune réflexion multiple ne pouvait se combiner avec une autre, ou se répandre par ce fleuve de la tradition orale qui, chez les hommes, emportait, rassemblait, variait intarissablement l’expérience, l’invention et les images… Néanmoins, la distance n’était