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symbole de tout ce qu’elle faisait jaillir du néant des ténèbres, où, sans elle, les porphyres, les quartz, les gneiss, les micas, les minerais, les gemmes, les marbres dormiraient, incolores et glacials, de tout ce qu’elle créait de formes et de couleurs en brassant la mer tumultueuse et en la volatilisant dans l’espace, en s’unissant à l’eau pour tisser les plantes et pour pétrir la chair des bêtes.

Quand elle emplissait le ciel lourd d’automne, les mammouths barrissaient en levant leurs trompes et goûtaient cette jeunesse qui est dans le matin et qui fait oublier le soir. Ils se poursuivaient aux sinuosités des havres et jusqu’à la pointe des promontoires ; ils s’assemblaient en groupes, émus du plaisir simple et profond de se sentir les mêmes structures, les mêmes instincts, les mêmes gestes. Puis, sans hâte et sans peine, ils déterraient les racines, arrachaient les tiges fraîches, paissaient l’herbe, croquaient les châtaignes et les glands, dégustaient le mousseron, le bolet, la morille, la chanterelle et la truffe. Ils aimaient descendre tous ensemble à l’abreuvoir. Alors, leur peuple paraissait plus nombreux, leur masse plus impressionnante.

Naoh gravissait quelque tertre ou escaladait une roche pour les voir rouler vers la rive.

Leurs dos se succédaient comme les vagues d’une crue, leurs pieds larges trouaient l’argile, leurs oreilles semblaient des chauves-souris géantes, toujours prêtes à s’envoler ; ils agitaient leurs trompes ainsi que des troncs de cytises couverts d’une mousse boueuse, et les défenses, par centaines, allongeaient leurs épieux lisses, étincelants et courbes.

Le soir revenait. De nouveau, les nuages résumaient la splendeur des choses, la nuit carnivore s’abattait comme un brouillard violâtre et le Feu se mettait à croître. Les Oulhamr lui servaient une nourriture copieuse.