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extraordinaire. Eh bien ! lorsqu’on sait préparer le sasimi, on arrive à créer autant de variétés d’huitres que, dans les caves les mieux garnies, un sommelier intelligent peut réunir de sortes de vins.

Pour peu qu’on ait en soi un peu de génie natif, de la délicatesse dans les mouvements, de la patience et un odorat à toute épreuve, on arrive aisément à savoir faire du sasimi. Voici d’ailleurs la recette. Heureux ceux qui sauront la mettre en pratique !

— « Vite ! me dit Son Excellence Yamataka, seigneur d’Ivami, apportez nos couteaux Japonais dont les lames font rougir de honte les plus fameuses trempes de Damas et de Saint-Étienne, ces couteaux avec lesquels on effile aussi aisément la pointe d’un gros clou de fer que la mine d’un crayon avec un canif bien coupant[1] ».

Les couteaux sont là ; l’archimaguire et son garçon s’en emparent et, après avoir vérifié la finesse de leur fil, ils se dirigent vers une table de marbre où s’étale coquettement un superbe poisson pêché le matin même[2].

Il s’agit de découper ce poisson en tranches aussi minces que du papier de riz. Le maître y réussit d’une façon qui tient du prodige : le garçon contemple le maître

  1. Les couteaux qu’avait apporté pour notre travail Son Excellence le Seigneur d’Ivami étaient de ceux qu’on nomme au Japon sasimi bau-chau, litt. « cuisiniers de chair en tranches ». Je ne saurais trop en recommander l’usage à nos grands restaurateurs.
  2. Les Japonais trouvent parfois du plaisir à employer pour leur sasimi des poissons encore vivants. Les idées religieuses de S. Exc. le prince d’Ivami et de son garçon cuisinier ne leur permettaient pas d’en agir de la sorte : ils trouvaient l’un et l’autre que c’était déjà beaucoup de faire acte de nécrophagie en cette circonstance.