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La scène se passait aux environs de Paris, dans une petite villa japonaise que je possédais sur les bords riants de la Marne. Le chef de cuisine, qui avait daigné m’admettre à son service, était Son Excellence Yamataka, seigneur d’Ivami, chambellan de sa Majesté Temporelle le Taï-koun du Japon et précepteur de son fils, le gentil petit prince Mimboutayou. Le diner devait avoir lieu vers les sept heures du soir. Chef et garçon montèrent sur la brèche quelques minutes avant midi.

Le menu du jour se composait de plusieurs mets exotiques dont nous savourions à l’avance le parfum délicat. L’un d’eux, inscrit pompeusement dans notre programme, devait être le clou du festin. Il ne s’agissait ni plus ni moins que de nous délecter en dévorant un plat de poisson cru.

Le sasimi[1] ou poisson cru est le chef-d’œuvre de la cuisine japonaise. Son invention suffirait à elle seule pour donner aux indigènes des îles du Soleil-Levant une place hors ligne sur le Livre d’Or de la Gourmandise. Ceux qui aiment le vin et les huitres vont de suite me comprendre. Tous les vins sont fabriqués avec du raisin : les différences qu’ils présentent entre eux sont cependant nombreuses. Les huitres d’Ostende, les marennes et les portugaises n’impressionnent pas précisément notre palais d’une manière identique, mais en somme, la variété de sensation n’a rien de très

  1. Littéralement « corps percé », c’est-à-dire « chair divisée en tranches minces ». — Le mot sasi-mi désigne également « la voiture des hauts fonctionnaires sur laquelle on peignait des images de poissons ». (Voy. le dictionnaire étymologique Gongen teï, p. 23).