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TEMPS PRIMITIFS

Pierre de Savoie.

Fig. 41. — Pierre de Savoie.


haute taille, à l’air noble et digne, plein d’esprit et aimable envers chacun. Il savait à la fois imposer le respect et gagner les cœurs. Sage, prudent et discret, il témoignait, lorsqu’il le fallait, d’une rare énergie et d’une volonté de fer.

Son mariage avec Agnès, la fille du puissant baron de Faucigny, en Savoie, fit de lui un des principaux seigneurs de la contrée. Puis, en 1237, à la mort de l’un de ses frères, il hérita du Chablais, qui s’étendait alors jusqu’à la Veveyse et au Grand Saint-Bernard. Il fortifia Martigny, Évian et le château de Chillon, dont il fit une forteresse redoutable. Sa nièce, Éléonore de Provence, avait épousé Henri III, roi d’Angleterre. Pierre, qui avait assisté au mariage, se fit remarquer à la cour d’Angleterre. Il acquit une grande influence auprès du roi, qui le combla d’honneurs et lui fit don de plusieurs terres. Les revenus qu’il retira de cette situation l’aidèrent à satisfaire son ambition et à accroître ses domaines dans la Suisse romande.

Par la possession du Chablais, Pierre de Savoie était arrivé aux portes du Pays de Vaud. Cette contrée était alors divisée entre un grand nombre de seigneurs rivaux qui s’épuisaient en luttes stériles. Pierre chercha à la soumettre à son autorité. La conquête ne se fit pas rapidement, par une invasion armée. Ce ne fut point l’affaire d’un an, mais d’une vingtaine d’années. Les seigneurs se soumirent successivement, les uns par amitié, d’autres pour obtenir la protection d’un prince puissant, d’autres encore à prix d’argent. D’ailleurs, lorsque c’était nécessaire, Pierre savait employer la menace. Comme on n’ignorait pas qu’il disposait de bonnes troupes et de forteresses bien armées, on n’essayait pas de lui résister. C’est ainsi que graduellement le Pays de Vaud accepta la domination de Pierre de Savoie. Même Berne se plaça sous sa protection. Mais quelques années plus tard, les Bernois lui ayant rendu de grands services dans un combat, il fit abandon de ses droits et la ville recouvra son entière liberté.

En 1263, à la mort de Boniface, chef de la branche aînée de Savoie, Pierre hérita de tous ses États et du titre de comte de Savoie. Il était alors au faîte de sa puissance. Ses États s’étendaient du Pays de Vaud jusqu’à Turin. Toutefois, un instant son œuvre parut compromise. Rodolphe de Habsbourg, qui voulait s’emparer de territoires appartenant à la sœur du comte Pierre, déclara la guerre à celui-ci et envahit le Pays de Vaud. Les historiens du temps racontent qu’une bataille eut lieu à Chillon et que Pierre remporta la victoire. On ne peut dire si ce fait est exact ; mais il est certain que les troupes de Rodolphe de Habsbourg durent reculer et quitter la terre romande. Les deux adversaires signèrent la paix au château de Lœwenberg, près de Morat.

Pierre de Savoie ne se borna pas à accroître l’étendue de ses domaines ; il sut se faire aimer de ses sujets par son esprit de justice et par la fermeté de son administration. Il divisa ses États en provinces. À la tête de chacune d’elles, il y avait un bailli et un juge. Le bailli du Pays de Vaud résidait à Moudon. L’ordre régnait dans les États du comte Pierre. Sa police empêchait les chevaliers brigands de piller les voyageurs et les marchands. Les routes étaient surveillées. De nombreuses forteresses gardaient les lieux de passage. Elles étaient toujours bien armées et renfermaient une réserve de grains et de vivres.

Le peuple bénéficia de ce sage gouvernement. Il vécut plus tranquille et plus heureux que sous l’autorité des petits seigneurs. Les villes obtinrent d’importants avantages, en particulier le droit de rendre la justice ; c’est ce que prouve l’acte appelé la Charte de Moudon, octroyé aux bourgeois de