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naïf qu’il contemplait les chœurs des Nymphes et les théories des Dieux. Chez lui rien de froid, d’archéologique ni de convenu. Prudhon avait le goût des bois, il se plaisait à leur silence. La nature se découvrait à lui compagne de l’homme. Le paysage où il plaçait l’impératrice Joséphine (1) vibrait d’une vie inconnue : les arbres se réveillaient ; ils cessaient d’être un simple décor, un rideau, une toile de fond ; l’artiste ne se contentait pas de reproduire avec plus ou moins de minutie leurs formes rudimentaires. Ils participaient à la vie de l’œuvre et le grand Pan se dégageait en eux de sa longue léthargie. Si, comme tout son siècle, Prudhon aimait l’allégorie, c’est que celle-ci l’écartait du bruit de la vie et du spectacle des choses.

La beauté virile, l’effort ou la violence lui répugnaient. Il réservait toute sa tendresse pour la femme, pour l’adolescence et pour l’enfance. Depuis le seizième siècle on n’avait plus mis une telle douceur à représenter le premier âge et les bambins de Donatello pouvaient, seuls, soutenir la comparaison avec ces amours aux formes potelées, au sourire malicieux, au geste léger. Il disait discrètement la beauté pudique de la jeune vierge et donnait de Vénus une image digne de la déesse. Bien qu’il se complût à peindre la nudité et qu’il n’eût point de prétention à paraître moral, rien ne pouvait choquer dans des œuvres qu’inspirait un génie chaste et serein.

L’écueil de ces tendances eût été la fadeur ; mais Prudhon l’évita toujours par la distinction de sa pensée. D’ailleurs ce peintre de la grâce savait à l’occasion se montrer grave et dramatique. Seul de ses contemporains, il fut-capable de s’élever à la peinture religieuse, parce qu’il fut le seul dont l’Amour anima le pinceau. Si l’on peut faire quelques réserves sur l’IIosannah qu’il chanta pour V Assomption (2), nul ne restera insensible au cri de douleur que lui arracha le Christ en Croix (3). Son tableau le plus célèbre, la Justice poursuivant le Crime (4), traite précisément un des sujets qui auraient pu lui paraître le plus antipathiques, et l’admiration universelle dit assez s’il réussit à le tracer. Les défauts que Prudhon savait éviter menaçaient un imitateur maladroit et ce qu’il y avait d’excellent dans sa manière répugnait à se communiquer. David pouvait faire du dernier des rapins de son atelier un peintre correct ; il enseignait une grammaire que tous étaient capables d’apprendre. Le. temple de Prudhon ne s’ouvrait qu’aux initiés. Il ne pouvait instruire que ceux que rapprochait de lui une affinité élective : pour les autres, il était inutile ou redoutable. Mais, si son esprit ne devait agir que sur quelques-uns, il offrait un autre danger plus général. Les journalistes, les peintres qui détournaient de lui la jeunesse (1) Au Louvre, sous le n° 75t.

(2) Au Louvre sous le n° 7-4G.

(3) Au Louvre sous le n“ 7 il.

(i) Au Louvre sous le n° 7 47. Dessins préparatoires au Louvre et à Chantilly.