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séduction (|uelque effort qu’ils fissent pour s’y dérober et leur impression constante a été qu’il était, à la fois, admirable et dangereux. La postérité a confirmé ce double jugement.

L’admiration qu’inspire Prudhon a sans cesse été grandissant : comme tous les peintres passionnés, il verra constamment des esprits lui rester rebelles mais aussi il sera aimé passionnément. Le charme qu’il exerce n’a rien de rationnel : on ne démontre pas sa puissance, et l’on s’y prête, comme on s’y dérobe, par tempérament. Né au début du xvin® siècle, il n’eùt été qire le plus aimable des artistes de sa famille ; il a du au hasard de la naissance d’être entièrement isolé, de se développer par lui seul et de garder une place indépendante dans l’histoire de l’art français.

Scs contemporains ne se trompaient pas non plus quand ils redoutaient son action. Par sa nature, par ses tendances, par sa technique, Prudhon niait les principes de David.

C’était, sans doute, un spectacle décevant pour des peintres, épris de logique et de raison, de voir un artiste chez lequel le sentiment primait toute autre qualité et dont la grâce était la suprême vertu.

Prudhon paraissait ignorer ses contemporains. Leurs théories n’avaient point de prise sur lui et, sans se contraindre à les suivre ou à les éviter, il s’abandonnait à son génie au risque d’être monotone, au risque d’être inégal, touchant, tour à tour, le pire et le parfait. Comme tous les artistes dont la personnalité est très accusée, il ne voyait du monde que ce que celui-ci lui montrait de lui-même. Sa main revenait sans cesse à certaines formes, à certains types qu’il affectionnait.

Il ne dessina, pour ainsi dire, de toute sa vie, qu’une seule tête de femme* il ne rêva la jeunesse et la beauté que sous un aspect ; mais il s’inquiétait peu de cette apparente pauvreté, et il répétait son rêve en de multiples images, car c’est un rêve qu’il peignit constamment. La nature, le modèle dont David était si jaloux, il les apercevait mal et les yeux de l’âme avaient créé en lui un monde charmant et léger où se mêlait avec peine la réalité. Comme David, il était épris de l’antiquité, mais il n’y voyait pas, lui, un catalogue froid de beautés abstraites, un arsenal de perfection ; il l’avait approchée de plus près, elle l’avait charmé et il n’en avait plus détaché sa vue. Ce n’est pas à dire qu’il l’eût, entièrement comprise, mais il en avait découvert quelques caractères aimables et l’avait, pour ainsi dire, recréée. Ainsi qù’André Chénier, il avait oublié les admirations convenues et l’érudition de collège pour entrer en direct commerce avec la pensée antique et c’est d’un cœur Voiart : Notice historique sur Prudhon, 182t, etc. Ed. de Goncourt a écrit un Catalogue raisonné de l’œuvre de Prudhon, Paris, 1876.