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CHAPITRE DEUXIÈME


LES LIMITES DE L’HÉGÉMONIE DE DAVID

Pour incontestée que fût la gloire de David, quelque empire qu’il eût sur le goût public, quelque ascendant qu’il exerçât sur les peintres, ses contemporains, il ne pouvait pourtant imposer à tous ses idées, fermer les yeux de la foule sur les mérites qui n’étaient pas les siens, dominer entièrement des esprits qui s’étaient formés hors de son influence ; il ne pouvait empêcher des artistes, dont la plupart ne le valaient point, d’avoir leur jour et d’avertir ainsi les amateurs qu’il était d’autres façons de penser et de peindre que les siennes.

Ceux qui l’imitaient avec la meilleure volonté ne pouvaient d’ailleurs plier leurs tempéraments à ne le jamais trahir. Quelques-uns étaient incapables de le comprendre ; d’autres se cabraient et se révoltaient contre la discipline qu’ils s’étaient imposée.

Ainsi, au temps même de sa plus grande gloire, s’étaient élevées quelques voix discordantes et l’hégémonie de David était limitée.

De cette opposition, qu’un récent historien de l’Art Impérial s’est étudié à mettre en lumière[1], il ne faudrait point exagérer l’importance immédiate.

Les vues divergentes qu’avaient exposées quelques critiques ou quelques érudits ne constituaient point, en face des doctrines davidiennes, une doctrine opposée. Des penseurs isolés avaient attaqué, dans une occasion ou sur un point particulier, à propos d’un Salon ou d’un tableau, l’esthétique régnante ; leurs idées ne formaient pas un faisceau cohérent. Le plus souvent ils étaient imprégnés des principes dont ils ne s’écartaient un moment que pour s’y rallier bientôt et, chez ceux-là même dont le témoignage est le plus original : Paillot de Montabert, Guizot ou Taillasson, pour en nommer quelques-uns au hasard, on citerait mille passages de pure orthodoxie davidienne[2]. Parfois enfin ils

  1. Benoît, L’Art français sous la Révolution et l’Empire, 1807.
  2. La démonstration est inutile pour Taillasson ou Montabert dont nous avons déjà fait mainte citation orthodoxe. Pour Guizot, il suffit de rappeler qu’après avoir, comme nous le verrons par la suite, émis, dans son Salon de 1810, des idées fort nouvelles, il accuse Girodet de n’avoir pas donné aux personnages de la Révolte du Caire un caractère assez idéal.