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davidiennës. 11 y fait froid, à la lettre, car un froid intense est seul capable de laisser à l’air une transparence semblable. Les personnages isolés se juxtaposent sans liaison (1) et se détachent parmi des objets auxquels rien ne les unit et qui, s ; soignés qu’ils soient, restent derrière eux, comme un décor. L’œuvre est achevée ; elle n’est pas destinée uniquement à plaire. Par sa seule perfection, elle exerce une action moralisatrice. Ce caractère, sur lequel on a beaucoup insisté pendant la période révolutionnaire (2), est encore relevé par Paillot de Montabert (3), et Stamati Bulgari, en 1827, dans un ouvrage curieux, après avoir considéré La mort de Socrate comme « la gloire de la vertu et le triomphe de l’école française », affirmera que « l’estime et la considération dues à un artiste doivent être proportionnées au degré d’élévation de ses œuvres vers les convenances de la morale et de la perfection de 1 art (4) ». Telles sont les idées maîtresses de l’esthétique qui domine en France vers 1813. Dans leurs vérités comme dans leurs erreurs, elles revêtent un caractère logique. L’art a pris . les allures d’une science et, selon l’expression de David même, n’a « d’autre guide que le flambeau de la raison (3). » Formés à la culture classique avant d’entrer dans un atelier (6), les élèves apprennent les règles de la composition, de la peinture, du dessin. Les scrupules de leurs maîtres les rendent consciencieux. Ils apprennent leur art, comme ils feraient les mathématiques, par l’esprit seul, sans que le sentiment y ait la moindre part.

Le succès persistant de cette doctrine scientifique et morale tient à la valeur de celui qui l’a propagée et aux œuvres remarquables sur lesquelles il a su l’appuyer. La pléiade des disciplesdirectsde David, les G., Gros, Gérard etGirodet, a assuré sa domination et l’influencé, qu’il exerça sur ceux-là mêmes qui sont ses émules ou qui sont sortis d’autres ateliers que le sien, a consacré son hégémonie. Bien d’autres raisons artistiques ou étrangères à l’art, après avoir déterminé son triomphe, semblent en attester la durée.

(1) Delacroix définit ainsi la liaison : « Cet air, ces reflets qui forment un tout des objets les plus disparates île couleur. » Journal, 13 janvier 18ù7.

(2) Voir, dans Jules David, Le Peintre Louis David, iv, p. 155, l’histoire du concours institue sur la proposition de David en 1791 sur le but moral et social de la Peinture, et le mémoire d’Allent, couronné par l’Institut, le 15 germinal an IV, sur cette question : Quelle a été et quelle peut être encore l’influence de la Peinture sur les mœurs et le gouvernement d’un peuple libre ? (3) Jugeant dans cet esprit l’ Embarquement pour Cythère, Paillot de Montabert déclare que « rien n est plus ridicule, plus indigne de la noble gravité de l’homme que ce ramassis de toutes sortes de poupées représentées dans ce tableau avec un très grand talent et un coloris digne de Paul Véronèse. » Traité de la Peinture, t. VIII, p. 305.

(.1) Stamati Bulgari, Sur le but moral des arts, p. 2, 6, 10. — Voir Taillasson, Observations, p. 229. (5) David, le 25 brumaire- an II, dans Delécluze, David, p. 158. (0) « C’était une condition que je mettais en acceptant un élève : je voulais qu’il sût au moins le latin », mot de David cité dans David, op. cit., IX, p. 502.