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fondre par juxtaposition (1). Les ombres s’indiquent simplement par des frottis (2). La couleur fluide, glacée, craint les empâtements, redoute d’accrocher au passage la lumière ; une pellicule nacrée recouvre la loile lisse et propre comme un chaudron bien écuré.

Mais le défaut le plus marqué et aussi le plus constant chez le Davidien est le fini impitoyable qu’il veut donner à son ouvrage. Comme il a eu constamment sous les yeux des statues, il emprunte, sans défiance, les procédés de la statuaire (3).

Le sculpteur, dont l’œuvre est destinée à être retournée de tous côtés et est exposée à être même palpée par l’amateur, le sculpteur qui, en somme, crée un être matériel, est obligé de donner à sa création un fini parfait et de tout dire sans rien laisser deviner. A son exemple, le Davidien ignore l’art des sacrifices. Son pinceau caresse, avec la même conscience, les morceaux perdus et ceux qui se détacheront en pleine lumière. 11 traite les derniers plans avec la même précision que les premiers. Cette perfection ennuyeuse, il l’étend aux choses qui la comportent le moins, aux draperies, aux matières inertes et amorphes, comme le sol, aux organismes délicats, comme les feuillages et les fleurs. Tous les objets sont métamorphosés en miroirs métalliques, aux lignes également accusées, aux contours sèchement terminés et sur lesquels la lumière pose pour être immédiatement réfléchie sans en pénétrer aucun. La sensation de la chair, de cette pulpe savoureuse dans laquelle la lumière palpite, l’émotion de cette matière animée où joue et circule la vie ; la mollesse cotonneuse d’un feuillage, les pétales diaphançs d’une fleur restent ignorés par des artistes dont l’œil s’est oblitéré à contempler la surface brutale et sans épiderme du plâtre (4).

L’artiste oublie aussi que, si la sculpture doit se soumettre aux conditions que lui impose la nature, la peinture, plus riche qu’elle, crée son propre milieu. En peignant les formes, le peintre doit créer l’atmosphère dans laquelle ces formes seront baignées. Ce milieu, il le supprime. Les personnages circulent dans le vide : l’air ne vient pas envelopper leurs corps, estomper les contours, adoucir la cassure des étoffes, atténuer les arêtes des pierres. 11 ne s’interpose pas entre notre œil et les objets lointains pour donner à ceux-ci des allures indécises, un aspect décoloré. Point d’imprécision, point de crépuscules. De là, cette impression glaciale que donnent les œuvres sont que le dessin un peu plus arrêté et recouvert ensuite complètement par la peinture. » Delacroix, Journal, 23 janvier 1837. *

(1) Delécluze, David, p. 306.

(2) Amaury Duval, L’Atelier d’Ingres, p. 83.

(3) Guillaume, Essais sur l’art, p. 310.

(i) « Dans cette peinture, l’épiderme manque partout. » Kuar- Delacroix, Journal, 13 janvier 1837.