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été maintes fois formulés par des esthéticiens ou par des critiques. Ils le furent, de nouveau, au cours de la Restauration. C’est au moment où l’École était menacée ou battue en brèche, qu’ils furent, peut-être, exprimés avec la plus grande rigueur. Kératry, Quatremère de Quincy, Paillot de Montabert ou Delécluze exposèrent, avec des nuances de détail, le dogme orthodoxe, en 1822, 1823, 1828 ou 1829[1]. De leurs œuvres, confrontées avec des productions antérieures, nous allons essayer de dégager les idées, si puissantes en 1815, et contre lesquelles devaient bientôt s’élever les révolutions artistiques. L’esthétique, dont Vieil et David étaient, d’un aveu universel, les initiateurs, prétendait s’appuyer sur des principes nets et absolus et déduire, de vérités simples, des méthodes rigoureuses. La théorie et la pratique en étaient rationnelles. Nous l’examinerons, sous ses deux aspects, dans sa doctrine et dans ses applications.

Pour entrer dans les idées de David, il fallait d’abord admettre comme indiscutable la supériorité de l’art hellénique. Cette supériorité, nul ne songeait à la contester, mais l’admiration qu’inspiraient les ouvrages des Grecs était loin d’être parfaitement éclairée.

Les œuvres les plus célèbres des musées de Rome ou de Paris, celles qu’on remarquait dans les cabinets des curieux appartenaient, pour la plupart, à la période gréco-romaine[2]. Quand le gouvernement britannique, en 1816, acheta les marbres de lord Elgin il révéla à l’Europe entière l’art de Phidias dont nul ne soupçonnait le caractère. La vue de ces marbres devait être instructive : elle inspira à Quatremère de Quincy certaines remarques très importantes dont lui-méme ne comprit pas toute la portée[3], mais leur action fut lente à se répandre et l’on répéta encore bien longtemps que le siècle d’Alexandre avait été, pour l’art hellénique, l’époque de la plénitude[4].

On ne connaissait donc ni l’origine ni la première maturité de l’art grec. Épris d’œuvres qui avaient illustré une période déjà crépusculaire, les artistes se méprenaient étrangement sur le caractère de la pensée hellénique.

  1. Kératry, Du beau dans les arts d’imitation, 3 vol. (Encyclopédie des dames), Paris, 1822 ; le Guide de l’artiste et de l’amateur, Paris, 1823.
    Quatremère de Quincy, Essais sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, Paris, 1823.
    Delécluze, Précis d’un traité de peinture, etc. (Encyclopédie portative), Paris, 1828.
    Paillot de Montabert, Traité complet de la peinture, 8 vol. et 1 atlas, Paris, 1829.
  2. Voir une liste dressée par Benoît, op. cil., p. 55, n. 2.
  3. Lettres écrites de Londres à Canova sur les marbres d’Elgin, 1818. Quatremère y constate la supériorité de ces œuvres sur tout ce qu’on connaissait auparavant de l’art grec (p. 123-126), il devine que la plupart des antiques alors admirés ne sont que des copies altérées d’œuvres antérieures (p. 125), il a des formules vives et des mots heureux. « Le torse du Cecrops, écrit-il, semble modelé avec de la chair » (p. 115). Il n’en persiste pas moins à soutenir la théorie du beau idéal (lettre Vie) et, cinq ans plus tard, dans son traité de l’Imitation, il semble avoir oublié les impressions de 1818.
  4. Kératry, Du beau, II, p. 210, n. ; cfr. Raphaël Mengs, Histoire des progrès de l’art, § 6.