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VITTORE CARPACCIO.

Carpaccio est amoureux de la vie extérieure, il en savoure les joies, le monde est pour lui rempli de merveilles ; Memlinc n’a pas le sens des spectacles profanes ; il n’ouvre qu’à regret les yeux sur l’univers : son âme, par contre, est exaltée par des élévations intimes auxquelles son émule vénitien est étranger. Dans l’histoire de sainte Ursule, Memlinc supprime tous les épisodes profanes auxquels Carpaccio s’est complu. Il commence son récit au départ de Cologne, omet les missions diplomatiques à la cour de Bretagne ou à celle d’Angleterre. Est-ce à dire que Bruges lui refusât les éléments pour imaginer une réception brillante ? Non, assurément. Les palais de Bruges, la grand’place, le Tonlieu fournissaient des cadres magnifiques et Memlinc a pu assister aux noces de Charles le Téméraire avec Marguerite d’York, aux fêtes célébrées pour la naissance de Philippe le Beau, aux funérailles de Marie de Bourgogne. Il élimine des scènes semblables parce que, vides de sens intime, il ne sait pas leur découvrir d’autre intérêt. Les sentiments purement humains ne sont pas davantage capables de le fixer. La délibération d’Ursule et de père qui inspire si dignement Carpaccio, il n’a pas songé à en tirer parti, et les doubles adieux du jeune prince de Bretagne à son père, des deux fiancés à leurs parents, il ne daigne pas s’en inquiéter. Enfin il est une scène dans laquelle Carpaccio a déployé toute la pureté d’une imagination chaste et dont il a fait un chef-d’œuvre, c’est le sommeil de la sainte visitée par l’ange : Memlinc n’en a compris ni le charme ni la douceur : il n’a pu