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VITTORE CARPACCIO.

avec une familiarité si aisée qu’à peine on sourit de voir celui-ci croquer une noix en habit de cour sur les marches d’un trône.

Toutes ces scènes sont décrites avec une complaisance inépuisable, mais aussi avec une aisance parfaite. Qu’un élément dramatique intervienne et qu’il soit nécessaire de représenter des mouvements violents ou des gestes accusés, l’artiste sera déconcerté. L’épisode du Martyre en fournit, à ses dépens, une preuve manifeste. Les scènes de massacre, où Carpaccio a essayé visiblement de varier et de multiplier l’horreur, sont gauches, étriquées, et restent froides. La maîtrise de l’artiste ne se retrouve pas dans quelques détails anecdotiques : un archer svelte, au costume splendide, dont le geste rappelle ceux de Vincenzo Foppa ou de Mantegna ; surtout, le fils du roi des Huns qui, touché de la beauté d’Ursule, remet lentement son épée au fourreau après avoir vainement tenté de la sauver : figure charmante dans laquelle Carpaccio semble s’être reposé d’une tâche ingrate. Le musée des Offices expose un portrait anonyme qui en rappelle les traits. Cette œuvre, d’une facture séduisante et large, peut être attribuée à notre maître dont l’imagination se serait donc, ici encore, étayée sur la réalité.

Il est des sentiments discrets, des demi-teintes que des expressions contenues et des gestes mesures trahissent seuls. L’art du peintre les suggère plutôt qu’il ne les traduit. Ceux-là, Carpaccio excelle à les exprimer.

Un cortège funéraire se déroule : la sainte est portée