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VITTORE CARPACCIO.
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des barques à rames, Carpaccio l’a notée avec une ferveur toute filiale. Il sait qu’elle est l’âme de sa cité, et que cette cité, c’est encore le plancher rude des caravelles à la coque gonflée et des longues galères plates. Il retrace ces navires tantôt voguant avec une majesté légère, tantôt ancrés au port, tantôt livrés aux mains des ouvriers.

Une multitude de calfats monte, descend, grimpe, s’accroche aux cordages de cette masse inerte qui bientôt redeviendra agile.

Tandis que le ciel, l’eau, les navires, les étendards semblent se mêler à l’action principale, ou s’intégrer à sa signification, à quelques pas de la scène, des groupes se saluent, vont et viennent, étrangers au spectacle. Proches de la Réception des ambassadeurs ou des Adieux de sainte Ursule, ils ne semblent rien en soupçonner. Leur fine silhouette accuse leurs attitudes, des chiens circulent parmi eux, un nain se pavane, leur placidité gagne jusqu’aux figurants officiels. Un massier tout de rouge vêtu, avec une loque cerise, figure de gueux en grande tenue solennelle, est fige à sont bâton. Derrière lui, un bambin joue de la viole. Sa petite personne est si menue, son geste si naturel, qu’on le dirait glissé là et ayant oublier irrévérencieusement tout protocole, s’il ne rappelait sans doute un détail du cérémonial : les musiciens chargés d’inviter aux festins solennels du Doge.

L’on dirait que Carpaccio se fait un jeu de divertir ainsi l’attention : aux personnages il mêle les familiers des ménageries privées, une pintade, un singe, et cela