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VITTORE CARPACCIO.
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Sur la rive on découvre les épisodes familiers d’un quartier animé. Tandis qu’un barbier, au seuil de sa boutique, essuie son rasoir et que des groupes de promeneurs vénitiens ou musulmans s’arrêtent pour causer, un nègre se courbe sous le poids d’un tonneau, un portefaix en manœuvre un autre, des enseignes de feuillage s’accrochent aux murs, des chemises sèchent, au haut d’une maison, en plein air sur une hampe de bois. Petit coin délicieux de vie prise sur le vif et notée avec amour, il complète le spectacle ordonné avec un sens si délicat de la beauté et du pittoresque.

Ces portraits vivants, pensant, cette résurrection architecturale du vieux Venise donnent à la Sainte Croix la saveur originale d’une œuvre de terroir.

L’Étendard et la Sainte Croix furent, pour ne point parler des œuvres disparues, les deux seules occasions données à Carpaccio de célébrer directement Venise. Peut-être aussi, un jour, échappant à la contrainte des commandes, nous dit-il, dans un tableau de chevalet : les Deux Courtisanes au musée Correr, un des aspects intimes de la vie Vénitienne.

Sur une terrasse de marbres précieux, deux jeunes femmes sont assises nonchalamment, le regard dirigé au delà du cadre. Leurs chairs grasses, d’une pâleur dorée, sont mises en valeur par leurs costumes somptueux : robes compliquées, l’une d’un rouge mat, l’autre vert-prune s’ouvrant sur un tablier vieil or ; elles ont des manches à crevés brodées de perles et de pierres : des