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VITTORE CARPACCIO.
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d’ampleur sereine qui mêle à l’évocation le sens grave de la patrie.

La Venise de l’étendard n’était qu’une apparition charmante mais voilée et lointaine ; à présent nous voici au cœur de la ville : Carpaccio a été chargé de peindre pour la confrérie de Saint-Jean l’Évangéliste un panneau dans la série de ceux qu’exécutent Gentil Bellin, Mansueti, Benedetto Diana et son maître Lazare Bastian.

Le sujet, la guérison d’un démoniaque par le patriarche de Grado, l’inspire peu et, sans s’arrêter au miracle même qu’il relègue dans un coin de sa toile, il ne voit plus que le cadre : le grand canal près du Rialto, et tout s’efface devant une transposition synthétique de la cité et de la vie vénitiennes.

Un ciel admirable, rouge, violet, avec des cirrus harmonieux, forme le fond léger vers lequel s’élancent les hautes cheminées si curieuses avec leurs couronnements rouges et leurs montants incrustés d’arabesques. Les maisons se pressent, étroites ; leurs façades, où les arceaux blancs des fenêtres s’unissent parfois en trilobe, chantent le poème de la brique.

Le grain luisant de la terre brille en quelques endroits, plus loin il est adouci et mat ; l’une d’elles est d’un corail cendré ; celle-ci enfin, rongée d’humidité, n’a plus qu’un rose défaillant sous la couche grise des années.

L’une des demeures s’incruste de marbres où jouent des arabesques colorées.

Gamme précieuse, mais discrète ; c’est le fond sur lequel