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VITTORE CARPACCIO.

de saint Jérôme, Lazare Bastian exerça son influence sur quelques peintres de talent, Benedetto Diana ou Mansueti, et sur un groupe de praticiens obscurs dont le musée Correr garde la mémoire. Là une série d’œuvres anonymes, maladroites et tout ensemble très raffinées, évoquent l’idée d’artistes qui trouvèrent, malgré leur inexpérience, de rares joies à peindre le costume des gentilshommes et des dames, à figurer des campagnes, à dessiner des bas-reliefs antiques et îles médailles, d’un sentiment si vif qu’il touche sous le balbutiement d’un pinceau enfantin.

L’une d’elles, malgré l’inexpérience dont elle témoigne, se fixe dans le souvenir par son charme et peut-être aussi, à cause du mystère du sujet évoqué.

Un crépuscule il un rose ambré enveloppe de sa tonalité chaude un riche paysage de verdures mêlées de ruisseaux, enfermées par de hautes collines. Deux jeunes hommes à cheval, un autre à pied auprès de sa monture, sont arrêtés dans cette campagne devant un beau monument de marbre à colonnes antiques qu’alourdit magnifiquement la traîne d’un paon qui s’y pose.

La grâce gauche de ces adolescents, la somptuosité de leurs vêtements, du harnachement de leurs bêtes, dont l’une a le poitrail orné d’un médaillon, les jeux maladroits de l’heure, tout compose un spectacle rare où l’on goûte, à travers le métier primitif, l’ardeur d’un plaisir délicat.

Ce que ces artistes éprouvaient sans être capables de le traduire, Carpaccio allait bientôt l’exprimer, et l’on aime à penser qu’il fut leur émule avant de les dépasser.