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VITTORE CARPACCIO.

sensation même. Les ciels délicats, les étoffes précieuses, d’autres que lui en étaient épris, mais aucun — même Gentil Bellin — ne saisissait avec une telle intuition la parfaite correspondance des harmonies entre elles : l’accord d’une attitude et d’une draperie, d’un groupement et d’une architecture, des lumières discrètes ou vives, larges ou incisives et du caractère d’une scène. Aussi l’avaient-ils fait l’hôte de leur intimité. Les érudits, les chercheurs graves et raffinés qui ornaient Venise d’une gloire toute récente et provoquaient dans cette ville jusqu’alors uniquement mercantile un enthousiasme singulier accueillaient sa curiosité intelligente. Ils montraient à l’artiste leurs mappemondes, leurs manuscrits, leurs cahiers de musique, leurs fragments d antiques, leurs verreries, leurs lampes ciselées.

Les Bibles à reliure le charmaient, les gravures rares, et jusqu’au luxe des coussins, des sièges recouverts de cuir, des pupitres ingénieux.

Il sentait plastiquement que cette intimité avait une âme, que la lumière égale se répandant par de larges haies, que la discrétion du décor, murailles effacées, couleurs sobres, étaient au même titre que les banderoles roses dentelant le ciel, que les somptueux tapis persans, que la gamme éclatante des cortèges, une harmonie appropriée et significative.

Telle on imagine la vie de Carpaccio à travers son œuvre, fraîche malgré les siècles, et pleine encore de l’élan juvénile qui l’anima.