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VITTORE CARPACCIO.
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Sa renommée lui ouvrait les palais, les jours où, dans les salles somptueuses, les brocarts se déployaient et se froissaient sous le geste ample et mesuré des patriciens. Il jouissait de tout cela profondément et sans que rien lui échappât : ni les corniches, ni les chapiteaux dorés, ni les marbres rares, ni les plafonds à caissons. Il saisissait jusqu’au geste du scribe, jusqu’au regard narquois des suivants. De quelle bonhomie malicieuse il approchait le grave massier des cérémonies et le petit singe de cour, isolé sur les marches, dans sa dignité bouffonne.

Cependant, aux portes de l’Orient, la ville merveilleuse n’en était que les prémices, et les livres feuilletés, les conversations avec les marins dalmates, tout ce qui, dans les quartiers bigarrés de Venise, se colorait d’un reflet des pays ignorés, se précisait dans son esprit, incapable d’au delà, mais prompt à se créer des visions concrètes et des jouissances plastiques.

Il imaginait, sous un ciel plus chaud, des mosquées blanches à dômes colorés, des maisons crépies à vif avec quelques palmiers rares, des personnages drapés de couleurs intenses. Les barbes, les turbans diversifiaient les physionomies aux traits plus marqués ; les femmes étaient voilées de nuances pâles et de tissus souples ; les chevaux se cabraient avec leurs selles à longs pompons écartâtes, tandis que des cuivres rythmaient en plein soleil ce tintamarre de couleurs.

Les amis de Carpaccio savaient d’ailleurs qu’il apportait dans sa jouissance quelque chose de plus rare que la