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VITTORE CARPACCIO.
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nelles, au premier rang ; de cette foule bigarrée dont le grouillement vu de loin formait des taches harmonieuses. Il contemplait le barbier qui essuie son rasoir, le marchand à la porte de sa boutique, le nègre qui, courbé sous le faix, jette sur l’eau une jolie tache noire. Il vécut dans cet Orient du quartier albanais où les loques rouges et jaunes étaient belles comme des brocarts. Les enfants jouaient devant lui ; les antilopes, les pintades, les faisans, les cailles, les zèbres, excitaient, dans les ménageries, sa curiosité toujours prête aux émerveillements.

Au canal Saint-Marc il voyait aborder les galères à deux voiles, assistait aux manœuvres, suivait les calfats déposant ballots et tonnes dans les magasins réservés au rez-de-chaussée des palais patriciens ; il courait à l’arsenal où manœuvraient les galéasses prêtes à repartir pour Chypre.

Carpaccio flânait aussi en gondole, sur l’eau miroitante, en face de cette ville qu’il aimait. Le ciel au déclin du jour éclairait de rose les fabriques, et la délicatesse des harmonies naturelles se mêlait aux architectures élégantes. Ses yeux, la fouillant avec amour, s’enchantaient des décors changeants selon les jours elles heures. Il découvrait en elle et dans ses spectacles familiers un pittoresque savoureux. Les hautes cheminées couvertes d arabesques, le Rialto de bois dans un quartier gothique, et jusqu’au linge qui séchait au bout d’une hampe, tout, s’accordait à le ravir.

Qui mieux que lui connaissait la physionomie de la Venise nouvelle ?