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VITTORE CARPACCIO.
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soit dans les fabriques, soit dans les intérieurs somptueux, aux murailles de marbre incrusté.

Les ciels et les eaux ont des délicatesses que les peintres les plus raffinés d’aujourd’hui ne dépasseraient pas. L’eau profonde et transparente que le sillage des gondoles abaisse et soulève s’irise du reflet des heures et des choses. Le ciel n’est pas là pour figurer un fond, il est vivant. Tantôt c’est le matin nuageux, délicat, léger, plus souvent c’est l’heure nuancée du couchant, alors que les harmonies chantent une dernière fois avant de s’effacer, que la lumière ambrée palpite à l’horizon pâli ou animé d’une ardeur fugitive, ciels safran, mauves, presque verts, ciels pourpres où se pressent des cirrhus violets : c’est l’heure de Venise.

Avec le même souci minutieux que les primitifs flamands. Carpaccio copie les points d’une tapisserie, le dessin d’un brocart ou les entrelacs d’une broderie et il fournit ainsi des documents inestimables sur les industries d’art de son temps. Fort heureusement il n’est pas dupe de sa propre habileté : s’il se complaît aux costumes de quelques personnages de premier plan, il se garde d’étendre à tout le tableau ce soin excessif.

Tout au contraire, chez cet artiste qui par bien des côtés a des tendances archaïques, dont le dessin reste un peu dur et qui ne se décida jamais à demander à l’huile d’autres effets que ceux de la tempera, ce qu’il faut avant tout mettre en lumière, c’est une extraordinaire, une incomparable audace dans le maniement du pinceau.