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VITTORE CARPACCIO.
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Sans interroger ces travaux, combien d’observations se dégageraient de l’analyse des œuvres mêmes. Il faudrait montrer Carpaccio maître des difficultés les plus ardues de la perspective, moins préoccupé que Gentil Bellin des symétrie et de convention, emporté par le spectacle de la vie, et amené par là à plus de souplesse et de spontanéité. Le déplacement presque constant du point de fuite à droite ou à gauche écarte toute harmonie compassée.

Ses personnages vont et viennent, en toute liberté, sans donner jamais le sentiment qu’ils épousent une conception géométrique. C’est que la perspective chez Carpaccio n’est qu’un support, et l’unité se fait par les deux éléments qui sont la vie même : la lumière et la couleur.

Si largement dispensée qu’elle soit, la lumière n’est jamais indifférente ; elle souligne l’intention du tableau, frappe un point essentiel et, s’éparpillant ensuite en taches adoucies, relie à ce centre les épisodes les plus lointains. Elle s’harmonise aussi à la conception, tantôt mordante et pittoresque, tantôt grave et recueillie.

Dans la Sainte-Croix, elle est avant tout vériste et anecdotique, met en valeur mille incidents curieux. Elle s’accroche au manteau d’un page, aux crevés blancs de ses manches, elle avive l’éclat des bouffettes roses et des boutons d’or, fuse au long d’un bras tendu, étincelle à la crête d’une toque, fait chanter un velours, caresse le collier d’une noble dame. Elle est vraiment l’âme légère et mordante du tableau, le sourire de cette fête cueillie par Carpaccio du bout de son pinceau spirituel et amoureux.